Avec son univers coloré et ses personnages aux formes arrondies, Camarades est un jeu au style qui détonne sur les étals. Afin d'en savoir plus sur cette réédition de Risk Express de Reiner Knizia, nous avons échangé avec Simon du Passe Temps, l'une des deux têtes derrière le projet. Voici son interview !
Camarades est la réédition de Risk Express de Reiner Knizia paru en 2006. Comment as-tu découvert ce jeu édité à l’époque par Hasbro ?
Simon : En arrivant au Passe Temps en 2007, j'ai été très vite intrigué par cette mini-édition de Risk qui trainait dans les rayons surchargés de la boutique. Risk est un jeu auquel j'ai beaucoup joué et dont l'esthétique plastoc orange m'a paradoxalement tapé dans l'oeil. J'ai acheté Risk Express pour désencombrer la boutique. J'ai même acheté Monopoly Express de la même collection, mais ça, ce n'est franchement pas terrible…
Comment est née l’idée de faire un saut dans l’édition ? Et pourquoi avoir choisi de rééditer ce jeu en particulier ?
Simon : Il y a 1000 raisons à cela sur lesquelles je me suis longuement épanché dans la vidéo de lancement du jeu. La raison principale reste que j'avais envie de m'amuser, que j'adoooore Risk Express. J'ai vécu des parties magiques et si dans la vie, j'ai l'occasion de m'amuser et d'amuser les autres par la même occasion, alors c'est avec un immense plaisir que je me lance ce défi.
Pour l’occasion, le Passe-Temps s’est associé à Offline Éditions. Comment est né ce partenariat ?
Simon : Cannes 2023, de mémoire, je croise Yannick et nous discutons de l'accueil fait à Kyudo par le Passe Temps (glacial). Je comprends assez vite qu'il y a chez lui, comme chez moi, l'envie de faire, la passion du projet avant toute considération financière. Faire les choses par passion, par envie de satisfaire les autres, d'épater la galerie et avec une blessure d'orgueil qui nous est commune, un manque de reconnaissance qui nous blesse et nous motive. Qui se ressemble s'assemble, alors c'est avant tout l'envie très amicale d'avancer qui a forgé notre association.
Comment ont été répartis les rôles entre vos deux entités ?
Simon : Yannick est l'homme du savoir-faire. Un calendrier en tête, une maîtrise technique hors du commun et une équipe de gens talentueux qui l'accompagnent. C'est lui qui fabrique, qui dit ce qui est possible et ce qui ne l'est pas. Moi, je suis l'élément créatif, le rédacteur de règle, le directeur artistique et le communicant qui lance le jeu en fanfare avec mon savoir-faire de youtubeur et de ludicaire. Lui le fabricant, moi l'artiste, chacun faisant des retours et des propositions à l'autre.

Après avoir été un jeu de franchise (Risk), puis un jeu ancré dans le Japon féodal avec Age of War, sa précédente réédition, le jeu prend une tournure plus colorée. Pourquoi avoir opté pour cet univers ?
Simon : J'ai toujours considéré les précédents thèmes très clivants. Trop guerriers, trop virils pour rien. Risk Express, c'est du Knizia, c'est une version plus taquine de Pickomino, du jeu grand public, mais avec ce qu'il faut de râlerie. L'idée était de le rendre pop, multigénérationnel. Le thème de Camarades peut faire peur, il se noie totalement dans une atmosphère colorée, guillerette et tout en rondeurs. À mon sens, Camarades sera bien plus appréciable par un public plus diversifié que les précédentes itérations du jeu. Pour autant, il fallait indiquer qu'il s'agissait d'un jeu farouchement compétitif. C'est lors d'une discussion avec mon collègue Thomas que le nom puis le thème ont émergé. Ça m'a paru être un angle audacieux, mais j'apprécie qu'un jeu essaie de parler du monde actuel et ne finisse pas par tomber dans la facilité du fantasy ou des animaux. Quelle paresse ! Camarades est une prise de risque. J'assume.
Outre l’univers du jeu qui a radicalement changé, Camarades présente-t-il des différences avec sa version originale ?
Simon : Le jeu initial n'a pas bougé. Je me suis longtemps posé la question de chercher à vouloir le faire évoluer. Reste que le jeu ne m'appartient pas, il appartient à Reiner Knizia. Il me semble important de savoir qui fait quoi. Je ne suis pas l'auteur. Knizia n'est pas un prête-nom. En tant qu'éditeur, ma mission est de donner toutes les chances à une règle du jeu d'être prise en main et appréciée et non pas de venir la modifier. Camarades est loin d'être un jeu sans faille mécanique. Vouloir les corriger aurait engendré un autre jeu. Il n'est pas encore venu le temps où je deviens le co-auteur de Reiner (et pas sûr qu'il vienne un jour). Reste la règle de la bombe que nous avons proposé à Reiner. Il a compris l'intérêt d'un tel ajout tout en nous opposant que cela pourrait dévier certains joueurs du but principal du jeu. Aussi, il nous a accordé le droit de l'éditer, mais tout en précisant qu'il n'associait pas son nom à cette idée. Ce qui est tout à son honneur de laisser la possibilité de faire évoluer le jeu malgré ses craintes.
Comment s’est passée la rencontre avec Victorien Del Tatto, l’illustrateur du jeu ?
Simon : Victorien est un ami de Yannick d'Offline. En parallèle, il travaillait sur les illustrations de Pizz’Arène. Il n'est pas étranger au milieu ludique. Si vous regardez la vidéo officielle de Cannes 2025, il apparaît dès l'introduction de la vidéo. Nous nous sommes longuement parlé au téléphone, essayant de comprendre toutes mes élucubrations sur le thème, l'intention derrière chaque personnage, chaque lieu, chaque forme de symbole. Sa motivation sans faille ne l'a pas quitté tout du long. Maquettiste et illustrateur, il a beaucoup fait pour le jeu. Le défi le plus dur ayant été d'arriver à me suivre dans mes propositions de couleurs fluo du type Simpson, là où son cœur portait plus vers des tons pastel et automnaux. Son carnet d'illustrateur, publié sur le site officiel de Camarades, retrace bien nos échanges, nos doutes et nos idées abandonnées en chemin.
Combien de temps a demandé l’édition de Camarades ? Avez-vous rencontré des difficultés particulières ?
Simon : Mon envie de voir revenir Risk Express date de 2021 ou 2022. Mais avec Yannick, ce n'est qu’en 2023 que nous nous lançons dans cette idée. Faisabilité, coût, répercussions professionnelles, logistique, il fallait tout étudier. C'est un projet alternatif à nos activités principales respectives. Il a donc fallu deux ans pour voir le jeu aboutir. En février 2023, nous visions une sortie pour Noël 2024. Mais les sacs n'étaient pas prêts, les illustrations non plus, la machine à imprimer les dés faisait des siennes... La difficulté la plus grande pour moi a été de trouver du temps pour avancer sur ce projet. Le Passe Temps est un aspirateur de temps, pas toujours facile de s'en dégager.

Le jeu se présente dans une pochette. Pourquoi un tel choix ?
Simon : J'ai le souvenir d'une partie magique de Risk Express, à la plage, avec Roxane ma grande amie ludothécaire à Niort. Risk Express, c'est mon jeu de voyage que je trimballe partout pour jouer entre potes, en terrasse, en buvant un coup, en dilettante. Love Letter, Time's Up et Paquet de Chips ont été un déclencheur. De plus, si l'on veut pouvoir proposer le jeu à un prix abordable et ne pas être tributaire d'aléas de rupture de stock, imprimer nos propres sacs, légers, peu volumineux, nous a semblé une option certes peu conventionnelle, mais amusante.
Comment gagner à Camarades ? Peux-tu nous donner une petite astuce ?
Simon : Prendre aussi vite que possible Mr l'ambassadeur me semble être un bon coup. De même, on a trop tendance à ne pas prendre les personnages à 1 point. Or, ils deviennent fastidieux à reprendre par la suite et ne focalisent pas l'attention. Ils peuvent faire la différence.
Une anecdote ou un souvenir particulier sur cette aventure ?
Simon : Je n'ai parlé de ce projet à quasiment personne d'extérieur au Passe Temps. Je faisais jouer Risk Express autour de moi pour recueillir des retours. Un jour, lors d'une grande fête, alors que je faisais jouer des tablées entières, un de mes meilleurs camarades de jeu, Arnaud, m'a lancé : "Mais qui en 2025 pourrait republier un truc pareil ? Ça n'a aucune chance de marcher, il ne faut absolument pas republier ça". J'en rigole encore. Il faut qu'on aille boire un coup ensemble pour fêter le 10 000e exemplaire vendu :)
Après ce premier pas dans l’édition, comptes-tu renouveler l’expérience ?
Simon : Il faudrait. Ce serait amusant. Mais j'ai peur de ne pas avoir le temps, de ne pas avoir la bonne idée. Et je me connais, je suis un homme de coups. Mis à part les “C'est Dispo”, je suis un homme qui ne supporte pas de refaire deux fois la même chose. Si j'édite un deuxième jeu, il faudra que je trouve une manière de rendre la chose excitante, inédite, audacieuse. Nul doute que Yannick me suivra, voire sera encore plus source de proposition. J'ai bien quelques idées mais… bref, on n'y est pas encore... Noël 2027 ?
