Librement inspiré de La Horde de Contrevent, roman de science-fantasy culte d’Alain Damasio, le jeu de rôle Rafales plonge les joueurs dans un univers parallèle fort pouvant servir de porte d’entrée pour le roman. Désirant en savoir plus sur les coulisses du projet, nous avons échangé avec son instigateur, Pierre Weill. Voici son interview.
Rafales est la libre adaptation de La Horde du Contrevent d’Alain Damasio, roman de science-fantasy culte paru en 2004. Comment as-tu découvert cet univers ?
Pierre : Par une autre fan ! C’était son livre préféré, tout simplement ! (Bon, non, enfin si, mais c’est un peu plus compliqué que ça.)
Après des études en histoire de l’art et du cinéma, je me lance dans la merveilleuse aventure de tenter ma chance dans le monde chaleureux et accueillant du cinéma français.
Un burn-out et un confinement plus tard, me voici sur les routes pour reprendre de l’air, voir du pays et marquer définitivement la fin de cet enfermement sanitaire. L’objectif ? Rejoindre la Méditerranée depuis mon chez moi, le nord de la Bourgogne. Environ à mi-chemin, commençant à trouver les soirs un peu longs et n’ayant amené aucun bouquin dans mon sac ; je vais demander à une libraire de Figeac son livre préféré !
Comment est née l’idée d’en faire un jeu de rôle ?
Pierre : Très progressivement. C’est vrai qu’à l’origine, le roman possède une construction très rôlistique : un groupe soudé des personnages principaux, chacun disposant d’un rôle, presque d’une classe bien identifiée, et une quête épique, mystique, de l’action, de la survie, des retournements de situations et un univers foisonnant, qu’on a l’impression de n’apercevoir qu’au travers du trou de serrure de cette horde.
Étant rôliste acharné depuis peu, c’était évidemment un univers évident à adapter. Cherchant à jouer dedans, je n’ai trouvé aucune adaptation. Avec un ami, nous avons lancé l’idée, mais j’ai rapidement été le seul des deux à plancher tous les jours dessus. Je me suis rendu compte aussi que je n’étais pas le seul rôliste à qui cet univers avait tapé dans l’œil ; c’est ça qui m’a poussé à vouloir le publier, mais pas sous n’importe quelle forme. Je voulais être à la hauteur du roman que j’estimais. J’ai donc décidé de lancer un financement participatif pour créer le jeu que je voulais.
As-tu dû demander les droits du roman ? Si oui, comment ça s'est passé ?
Pierre : J’ai bien demandé les droits du roman aux éditions La Volte, avant de lancer le financement participatif.
Comme beaucoup, j’aurais pu faire « à côté », « à peu près », mais non. J’ai toujours considéré ça très limite, du point de vue de l’auteur originel. Une contrefaçon n’est pas un hommage. Si je souhaitais jouer dans l’univers de La Horde du Contrevent, les ayants droits devaient impérativement être impliqués.
Avec l’avènement de l’IA, la question de la protection du droit d’auteur se pose de manière urgente. Le Code de la propriété intellectuelle n’a pas été revu depuis 1992 et contient toujours des concepts mous comme celui « d’œuvre de l’esprit » dans lequel tombe, ou pas, des créations comme les jeux de société, au bon vouloir de la justice.
En résumé, il était impératif, pour moi, d’obtenir l’aval des éditions La Volte, qui ont accompagné et soutenu le projet dès le départ !

Est-ce ta première expérience dans le monde ludique ?
Pierre : C’est effectivement ma première expérience pro dans le monde ludique ! Mes études cherchaient plutôt du côté de l’histoire de l’art et du cinéma. J’ai fait un peu de narrative design pour des projets de jeux vidéo étudiants, beaucoup de création vidéo et quelques projets ludiques pour mon cercle proche avant ça, mais rien de public. J’ai principalement travaillé dans le monde du cinéma français et de la vidéo jusqu’à m’en dégoûter. L’entre-soi, la prétention omniprésente et les faux-semblants des relations professionnelles dans le milieu de la production de films m’ont poussé à tenter de trouver autre chose. C’est un peu par hasard que j’ai découvert le JdR un peu avant le confinement et depuis, je crois bien que j’ai plongé dans la marmite !
Est-il nécessaire de bien connaître l’univers crée par Damasio pour apprécier pleinement ton jeu de rôle ?
Pierre : Justement ! Non ! Dès le départ, l’enjeu était de proposer un univers proche, un reflet de cet univers qui pourrait servir d’introduction, de pied dans la porte pour se plonger dans le roman ! Le style, l’imagination, les personnages et la forme générale d’un roman sont nécessairement différents de celle d’une partie de jeu de rôle. Rafales ne permet pas de « vivre » l’expérience du roman. Ça n’a jamais été l’idée et je pense que ça ferait au mieux un très mauvais roman. De la même manière, je ne crois pas qu’un excellent roman ferait une très bonne partie de jeu de rôle. Je voulais essayer de saisir les thématiques du roman, de les trahir le moins possible, pour les adapter en un jeu que j’aurais envie de jouer et que je serais fier de partager à d’autres joueurs !
Rafales présente-t-il des différences avec le roman en termes de narration ?
Pierre : La Horde du Contrevent proposait de suivre le voyage de la 34ᵉ Horde, partie d’Aberlaas en direction d’un mystérieux Extrême-Amont où prendrait naissance le vent qui balaye le monde. Rafales en conserve le principe et l’univers en plus de quelques ajouts supplémentaires. Il n’est pas question du voyage d’une seule et même Horde, mais de toutes, dès la première à s’aventurer au-delà d’Aberlaas.
Autrement, et dans la mesure où chaque vent, chaque lieu et même chaque personnage rencontré sur le chemin sont générés à la volée et même évoluent au fil des générations de Hordes qui les retrouvent, chaque partie sera nécessairement différente du roman.

Comment as-tu construit l’univers graphique de Rafales ? Avais-tu des références précises ?
Pierre : À partir de l’ambiance visuelle que j’avais en tête à la lecture du roman. C’est un univers forgé par des forces brutes, mais qui impliquent une forme de dualité : le vent est épreuve, mort, désolation, mais aussi espoir, vitalité, affirmation. La thématique du roman comme une parabole symbolique, philosophique, un genre de mythe de Sisyphe groupé m’a amené à rendre l’univers le moins figuratif possible. Il fallait quelque chose qui soit rude, brut, potentiellement violent, mais poétique, qui, par ailleurs, suggérerait l’univers plutôt que de le figer dans le réalisme. Le JdR, comme le roman finalement, est un voyage mental, une histoire qu’on se raconte à soi-même et aux autres, mais dont chacun ressort avec des images différentes.
Je me suis tourné vers le sumi-e, littéralement « encre de Chine » en japonais, qui diffère légèrement des estampes chinoises utilisant la même technique. Les coups de pinceau à l’encre noire et au lavis supposent des formes, des visages. On est presque dans une forme de paréidolie que je trouve très adaptée. Par la suite, j’ai confié mes idées à Morgane Schmitt Giordano du studio NEB qui m’a aidé à poser, à définir cette charte et à l’étendre. Les costumes des Hordiers sont, par exemple, inspirés de tenues traditionnelles mongoles.
La suite s’est faite très naturellement avec le talent et la sympathie de Zariel et Gabriel Amalric. Je tiens d’ailleurs à saluer bien bas le travail colossal abattu par Zariel qui a fait bien plus que ce qui était convenu à l’origine et qui a réalisé l’intégralité de la superbe maquette !
Comment as-tu découvert Zariel, l’illustrateur du jeu ?
Pierre : J’ai découvert le travail de Zariel à travers son travail sur la couverture de L’Étoffe Dont Sont Tissés Les Vents d’Antoine Daer (St. Epondyle), une superbe analyse du roman dont on trouve également des éléments très précieux sur son blog Cosmo Orbus. Il n’était pas illustrateur sur le projet au début de son financement, c’est après avoir échangé quelques coups de fil qu’il a accepté de participer et que sa contribution a été débloquée par palier.
Combien de temps a demandé le développement de Rafales ? (entre l’idée initiale et la commercialisation du jeu) As-tu rencontré des difficultés particulières ?
Pierre : J’ai découvert le roman en août 2021 et j’ai très vite pensé à en faire un scénario. Au fur et à mesure, j’ajoutais des règles, des détails, des mécaniques qui demandaient parfois un peu de temps. C’est environ deux ans plus tard que j’ai pensé à lancer un financement.
Le projet a pris une telle ampleur que j’ai eu beaucoup de difficultés de gestion de budget, d’organisation de mon temps. J’ai dû apprendre sur le tas à gérer une comptabilité, à communiquer avec le public, à assurer la gestion administrative et éditoriale d’une petite entreprise, à créer un site internet. J’ai fait tout ça en parallèle de la rédaction des trois livres. Il y a eu de sérieux ratés et aujourd’hui beaucoup de pledgers attendent leurs colis. Les expéditions se font régulièrement à mesure que les finances de la maison d’édition le permettent. J’ai l’immense chance d’avoir une communauté de personnes à la patience et à la compréhension infinies. J’ai d’ailleurs pu revenir en détail sur ces difficultés dans une interview auprès de la Roliskatonik animée par Damien Coltice. J’y reviens notamment sur les risques que représente le modèle du financement participatif pour les amateurs qui souhaiteraient se lancer comme moi !
Pourquoi avoir opté pour l’auto-édition ?
Pierre : En premier lieu pour la liberté qu’elle m’offrait et l’assurance de produire au moins quelque chose. À l’origine, le projet était bien moins ambitieux qu’il n’a pu le devenir. J’avais envie de créer ce jeu et je me sentais capable d’assumer le rôle d’auto-éditeur (ou du moins, je me sentais prêt à tout donner pour apprendre !).
Prévois-tu de développer encore l’univers de Rafales ? As-tu d’autres idées de jeux de rôle ?
Pierre : Je prévois beaucoup de choses pour Rafales ! Je suis loin de laisser tomber l’univers des Hordes. Dans un premier temps, des ressources gratuites et même des mécaniques de jeu additionnelles seront proposées gratuitement sur le site internet de la maison. J’ai en tête un bon nombre d’ajouts. À force de travailler sur un système, on en voit surtout les défauts. Je trouve aujourd’hui que Rafales est une base, un socle de jeu duquel je ne souhaite pas m’écarter, mais auquel je souhaite proposer des ajouts optionnels, en fonction des envies de jeu. Une sorte de livre de base d’un futur système bien plus modulaire en somme !
Pour d’autres choses, on verra ! Je tiens à finir ce que j’ai commencé il y a maintenant deux ans. Cela dit, j’aimerais proposer plus de jeux de rôle indés au format physique. La création rôliste est si pleine d’idées fascinantes qui n’atteignent jamais les étagères de nos boutiques ! À voir dans le futur…
