Thème fort, gameplay racé, et tension permanente
Bienvenue dans le sud de l’Italie au XIIIe siècle, sous le règne de l’illustre Frédéric II, surnommé Stupor Mundi — littéralement, « la merveille du monde ». Le jeu nous plonge dans cette époque charnière où savoir, pouvoir, religion et ambitions politiques s'entremêlent. Ici, on joue des personnages influents de la cour, cherchant à façonner leur destinée entre loyauté et indépendance… le tout dans une tension politique fascinante.Le tout dans une ambiance épurée, très jeu à l’allemande, où chaque choix compte.
Un tour de jeu brillamment construit
Tout commence par un déplacement de bateau, et cette décision-là n’est jamais anodine :
???? Veux-tu atteindre un port stratégique, pour acheter ou vendre des ressources au bon moment ?
???? Ou recruter des partisans, qui orienteront ton scoring ?
???? Ou encore récupérer des cartes pour enrichir ton deck ?
Ce déplacement conditionne tout ce qui va suivre, car l’interaction avec le port de destination est essentielle à ta programmation.
Puis vient la pose de carte, et là encore, deux possibilités, toutes aussi brillantes :
– Soit tu joues le recto pour déclencher son/ses actions immédiates.
– Soit tu poses la carte face verso et actives un des 2 emplacements adjacents. Ces emplacements te permettent de produire, construire, ou faire progresser ton jeu — mais attention, cette carte posée bloquera durablement l’accès à certains effets, ou t’en ouvrira d’autres si tu prépares bien tes coups.
C’est tout simple sur le papier. Mais dans la pratique, c’est un véritable bijou de programmation. Tu façonnes ton plateau, tu prépares le tour suivant, tu coupes les ailes de ton adversaire, tu tires des synergies de ton deck… et chaque choix façonne ton avenir.
Un plateau personnel en évolution constante
Fidèle à l’école des eurogames à l’allemande, ton plateau joueur se construit pièce par pièce. Tu vas ériger :
– des murs, pour stocker plus de ressources
– des tours, qui te permettent d’accueillir plus de partisans et d’objectifs
– des forts, qui modifient carrément les effets de ton plateau
Mais attention : les constructions sont interdépendantes : on ne construit un mur qu’à côté d’une tour, et vice-versa. Donc impossible de foncer tête baissée sur un seul axe. Il faut penser son développement de manière équilibrée, et adapter sa stratégie à l’offre du moment et aux ports visités.
Et pour ne rien simplifier, tout ça a évidemment un coût. Il faudra produire efficacement, vendre intelligemment, et bien planifier ses ressources.
Le cœur du jeu : le dilemme Loyaliste vs Indépendantiste
Ce qui fait la richesse de Stupor Mundi, c’est que les points de victoire se nichent dans les objectifs qu’on choisit de servir.
- Les partisans que tu recrutes t’orienteront vers une posture Loyaliste (servir Frédéric II, valoriser son château, sa richesse, sa culture…)
- Ou au contraire vers une posture Indépendantiste, qui valorise le développement de tes propres provinces au détriment du pouvoir central.
Mais ce n’est jamais binaire. Il est tout à fait possible, et même recommandé, de jouer sur les deux tableaux, au gré des opportunités.
Et c’est là qu’interviennent les décrets, ces petites merveilles de stratégie :
Quand cette actions se déclenche, tu choisis une tuile Décret qui permet de majorer ou minorer trois axes (richesse, culture, constructions…).
- Cela change la donne pour tes objectifs
- Mais ça impacte aussi tous les joueurs
- Et tu as une petite vision des décrets à venir, ce qui donne une lecture stratégique passionnante à moyen terme
Et ce n’est pas fini : les spécialistes
Tu peux aussi envoyer tes spécialistes sur trois pistes de développement, qui offrent des bonus uniques… mais non cumulables. Si tu avances trop vite, tu perds les avantages précédents. Un petit dilemme malin, comme on les aime.
Sobriété à l’allemande, clarté exemplaire
À l’image de son gameplay, Stupor Mundi affiche une direction artistique sobre, élégante et parfaitement fonctionnelle. Pas d’illustrations flamboyantes ou de fioritures visuelles ici : tout est pensé pour la lisibilité et l’efficacité stratégique. L’iconographie est limpide, les zones de jeu sont bien délimitées, les couleurs sobres (peu être même un peu trop, notamment le matériel des joueurs, les sets bleu/vert/rouge/noir sont bruts de chez bruts), facilitent la lecture immédiate des plateaux et des cartes. On est dans la tradition des eurogames “à l’allemande”, où chaque élément graphique sert la mécanique sans jamais la surcharger. Une ergonomie qui favorise la fluidité, et qui laisse toute la place… au jeu lui-même finalement.
Un bijou stratégique, clairement dans mon top 10 de tous les temps. Stupor Mundi réussit à combiner élégance mécanique, richesse stratégique, et plaisir d’optimisation, avec un thème fort et bien rendu. À aucun moment, le jeu ne te prend de haut. Il t’ouvre un terrain d’expression très large, sans jamais se noyer dans la complexité. Il y a du timing, de la tension sur les ports, de la projection dans les objectifs, de la construction long terme… mais tout reste maîtrisé et fluide. Il donne envie d’y revenir, de tester d’autres stratégies, de creuser ses possibilités.