Une semaine après Dawn of Peacemakers, voilà qu’un autre jeu aux animaux anthropomorphes m’éblouit en refusant franchement de se conformer à l’image enfantine que l’on peut se faire d’un tel thème. Pour autant, on n’est pas dans le cartoony-trash à la Happy Tree Friends ou Itchy et Scratchy, ces jeux puisent dans l’univers animalier une beauté et une douceur presque mélancolique qui les distinguent du tout-venant et facilitent peut-être l’appréhension de leurs subtilités par des joueurs ordinairement peu portés vers des genres « experts » ou « familiaux +». Et c’est tant mieux, puisque malgré son identification comme un « jeu de guerre » et sa grosse boîte à 75 euros, Root s’avère intéressant pour des profils très variés à partir de douze ans grâce à son système de factions complètement asymétriques. Aussi bien thématiquement que mécaniquement d’ailleurs : la Marquise de chat qui assoit sa suprématie militaire sur la forêt n’a rien de commun avec les terroriste de l’Alliance, les profiteurs de guerre que sont les agents de la Compagnie de la rivière n’ont rien de commun avec le Vagabond qui vit son aventure dans son coin… La difficulté du jeu ne dépend ainsi pas « objectivement » de ses règles mais de sa maîtrise de la faction choisie, de sa connaissance des factions jouées par les adversaires, et de la connaissance par ses adversaires des factions en jeu.
C’est à la fois la limite et la plus grande beauté de Root : quand on choisit une faction, il faut être prêt à la jouer plusieurs parties d’affilée pour en comprendre toutes les subtilités, d’autant que chaque configuration impose de repenser ses possibilités. A contrario, il faut jouer toutes les factions pour comprendre ce que font les autres, parce que la Compagnie de la Rivière sera forcément perdue à ses débuts contre un Vagabond, chacun devant redoubler d’efforts pour voir comment son adversaire agit et comment le contrer. Le pire serait que des débutants jouent contre des joueurs maîtrisant leurs factions dans une longue partie de Root, l’absence totale de visibilité des premiers face à l’aisance des autres pouvant s’avérer réellement décourageante. Root s’avère idéal quand les joueurs en sont au même stade, soit que chacun connait toutes les factions impliquées, soit qu’au contraire tout le monde découvre le jeu, soit que l’on maîtrise sa faction sans avoir joué avec les autres, soit dans un mode solitaire particulièrement lisible et formateur.
Le jeu sait heureusement se montrer parfaitement pédagogique, avec des plateaux individuels servant aussi bien à collecter cartes et jetons qu’à rappeler comment la faction correspondante se joue, avec ses nombreuses aides de jeu et reformulations des règles, et même avec son matériel coloré et clair, dont ne peut venir aucune confusion. C’est au point que la boîte contient des barres de bois fendues où l’on peut insérer ses cartes, pour les avoir constamment sous les yeux sans les recouvrir involontairement dans sa main avec d’autres cartes ou sans avoir besoin de les reposer et les reprendre sans cesse à chaque manipulation !
La version éditée par Matagot possède enfin l’important avantage de contenir directement une extension ajoutant deux factions aux quatre originales, un nouveau vagabond, la possibilité de jouer à Root seul ou jusqu’à six et une intelligence artificielle pour les règles compétitives normales ou une nouvelle règle coopérative. On n’est ainsi pas dans l’addition pléthorique et gratuite de contenu, mais dans la volonté de proposer d’emblée un jeu aussi complet, riche, inépuisable que possible. Root n’avait pas besoin de cela pour s’affirmer comme fondamental dans toute ludothèque qui se respecte, cela ne l’en rend cependant que plus incontournable.
L'intégralité de la présentation du système de jeu et de la critique est lisible sur VonGuru : https://vonguru.fr/2019/07/01/root-le-jeu-qui-va-prendre-racine-dans-vos-ludotheques-et-vos-esprits/