Dans Les Hauts Fourneaux, vous incarnez un industriel du 19e siècle. Vous allez peu à peu construire votre empire, industriel, en développant vos entreprises et usines de métallurgie et de sidérurgie. Et tout ça en exploitant charbon, fer et pétrole. Capitalisme, industrialisation, exploitation de ressources. Alors oui, soyons honnêtes, le thème est aussi appétissant qu’un reblochon de Haute-Savoie périmé depuis six mois et oublié dans le coffre de sa voiture en revenant des courses.
S’il s’était agi de petits chatons kawaii à élever ou de civilisation antique (comme Khôra) à développer, le contexte aurait pu susciter une plus forte appétence. Là, peu. Mais passons. Tout le défi du jeu réside à passer outre son thème. Car derrière cette façade, délétère, somme toute artificielle, se love un jeu d’une rare puissance.
Le jeu se joue sur quatre tours, et chaque tour se compose de deux phases : Vente aux enchères et Production. Pendant la vente aux enchères, 6 à 8 cartes d’entreprise sont révélées sur la table. À votre tour, vous ne faites qu’une seule et unique chose, placer l’un de vos quatre disques de votre couleur de taille, de valeur différentes sur l’une d’elle. Et c’est tout.
Avec deux petites règles, contraintes : vous ne pouvez pas placer un disque sur une carte avec un disque de la même valeur, ou placer un disque sur une carte où vous en avez déjà placé un au préalable. Autrement dit, pas d’égalité ni d’addition possibles.
Une fois tous les disques placés, les cartes sont résolues de gauche à droite. La personne qui a placé le disque à la valeur la plus élevée obtient la carte, qu’elle place devant elle, en rangée. Et c’est tout. Les Hauts Fourneaux est donc un « bête » jeu d’enchères. Quel disque jouer pour obtenir quelle carte.
Oui, mais non, ce n’est pas tout. Et c’est dans trois autres petites règles, subtiles, suaves, que se camoufle toute la ruse et la brillance du jeu.
La ou les personnes qui ont placé un disque, inférieur, sur la carte, obtiennent toutefois une petite compensation, souvent une seule maigre ressource.
Une seule ? Minute, papillon. Cette compensation est multipliée par la valeur du disque joué. Si sur une carte se trouve un disque d’une valeur de 4 et un autre de 2, le 4 prend la carte, mais le 2 double la compensation.
Deux petites règles qui explosent le plaisir du jeu. On s’amusera donc, souvent, à perdre l’enchère, tout en essayant de maximiser ses pertes. Jouer petit, mais gros. Subtil, passionnant !
Et la troisième règle ? Comme on résout les enchères et les cartes de gauche à droite, ce qu’on a gagné comme compensation plus tôt dans la manche peut se révéler lucratif par la suite.
Une fois cette phase d’enchère achevée, on passe à la phase production. Toutes les cartes obtenues s’activent, et c’est là qu’on entame une valse endiablée de ressources, de transformations et de combinaisons. On évolue en plein mode engine-building.
Avec un élément supplémentaire, élégant, qui vient se coller au jeu : les cartes commencent par une face de base, avec une autre, améliorée, plus puissante et lucrative. Ces cartes peuvent se retourner en activant une certaine carte et en payant le coût en ressources correspondant.
Le but ultime du jeu ? Comme nous gérons un empire capitaliste du 19e, le but du jeu est de dégager le plus d’argent, bien sûr. On repassera pour les valeurs humanistes et écologistes…
Les Hauts Fourneaux propose une mécanique d’enchères galvaudée, et pourtant sublime et sublimée. Les quelques règles subtiles et originales permettent de transcender l’expérience et le plaisir du jeu.
Les Hauts Fourneaux n’est ni spectaculaire ni époustouflant, pourtant d’une rare intelligence, tout en subtilité. Surtout, ce jeu est l’un des plus beaux arguments de ces dernières années pour promouvoir le jeu de société. Sobre, austère, fluide, chaque seconde qui file et défile nous capture, nous captive.
Un thème hideux pour un jeu d’une rare intelligence.