Cyrano

Je fais partie de ce type de joueurs que la page blanche effraie. Et dans CYRANO, elle est blanche de chez blanche, même si les petits cœurs à gauche de chaque feuille essaient de rassurer comme ils le peuvent. Les dés minimisent également cet impression de saut dans le vide , en imposant des contraintes de thèmes et de rimes. Mais clairement CYRANO présente un vrai défi contre soi-même. Il faut passer outre l’appréhension du néant et celle du ridicule pour apercevoir son immense potentiel ludique. Oui, car sous ses airs intellos et son côté « bobo du 11ème », CYRANO est une perle rare. Il propose de rire des autres mais surtout de nous-mêmes. Les poèmes confectionnés sont pour la grande majorité pathétiques. Et si certains joueurs tirent mieux leur épingle du jeu que d’autres, ce sont bien les vers les plus tordus qui font la richesse des émotions ressenties autour de la table. Du rire, beaucoup, des moqueries souvent et parfois de l’admiration ! CYRANO crée ainsi des souvenirs et références communs, qui ressortiront à ne pas douter quelques années plus tard au détour d’une conversation. Ainsi, le jeu associe brillamment moment solitaire créatif et interactions fortes. D’ailleurs, son système de décompte de points renforce la subtilité des interactions puisque d’un côté il s’agit d’être original et de se distinguer des autres poètes, et de l’autre de voter comme le plus grand nombre et donc de percevoir le poème qui aura le plus de faveurs autour de la table. C’est simple, malin et franchement bien fichu. Et même si, comme dans la plupart des jeux d’ambiance, le « scoring » n’est pas essentiel, ici il apparaît assez cohérent et intelligent pour que l’on en tienne compte. CYRANO est une très belle surprise. Il est rare qu’un Party-game porte autant d’élégance.